Plus de 320 revues composent le solide édifice de Cairn.info. Par l’intermédiaire de son responsable marketing et commercial Thomas Parisot, l’éditeur francophone souligne le particularisme de son domaine de prédilection dans le contexte actuel de la montée de l’open access.
Depuis sa création en 2005, Cairn.info a su prendre des virages stratégiques afin de rester proche d’une demande qu’il sait exigeante. En 2007, il s’alliait aux portails Gallica et Persée pour contrer la concurrence anglophone. En 2010, il s’ouvrait à des publications plus « grand public » telles que Le Magazine littéraire ou L’Histoire, ainsi qu’à des encyclopédies de poche (Que sais-je ?) et à près de 2 000 ouvrages de recherche.
C’est sur un équilibre entre accès gratuit - métadonnées riches et anciens numéros à la profondeur historique allant de deux à cinq ans, selon les éditeurs - et accès « conditionnel » que repose la plateforme. Si des articles et des chapitres d’ouvrages y sont vendus à l’unité, ce sont surtout les licences d’accès à des bouquets de publications qui sont proposées aux bibliothèques. Aujourd’hui, elles sont près de 800 à travers le monde à s’offrir les services de Cairn, telles que celle de l’Ecole des Chartes ou celle de Sciences Po Paris.
Suite à la montée en puissance de la question de l'open access, avez-vous senti une augmentation de la demande, voire des pressions, à ce sujet ?
Depuis une vingtaine d’années, les éditeurs scientifiques sont confrontés à la revendication d’une diffusion gratuite de leurs publications. Portée à l’origine par des chercheurs de communautés scientifiques pointues, notamment en physique nucléaire, elle s’est progressivement étendue à toutes les disciplines. De plus, elle est désormais relayée par des dirigeants d’universités ou d’organismes de recherche, comme par certains responsables publics. D’autres acteurs considèrent également que tous les contenus culturels sous forme numérique devraient être disponibles gratuitement, comme certains responsables de bibliothèques - afin de remédier à la baisse tendancielle de leurs budgets d’acquisition - et de grands groupes technologiques mondiaux. Il va sans dire que la circulation la plus large possible du savoir est un objectif que chacun peut partager. Néanmoins, il est nécessaire de disposer d’un mode de rémunération capable de financer les activités créatives participant à la qualité des contenus, en maintenant la diversité du paysage actuel.
Début juillet 2012, la Commission européenne a recommandé aux Etats membres que toute recherche financée par des fonds publics devrait donner lieu à une diffusion gratuite de ses résultats dans un délai maximal de six à douze mois. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche travaillerait actuellement, sans concertation aucune avec des éditeurs, à la transposition de cette recommandation en droit français.
Le mouvement de l'open access pourrait-il vous pousser à modifier votre politique de « profondeur historique » fixée par les éditeurs ?
La situation actuelle inquiète les éditeurs français avec lesquels Cairn travaille. En effet, la spécificité de l’édition en sciences humaines et sociales (SHS) n’a pas été prise en compte par les pouvoirs publics, lesquels ne semblent attentifs qu’à la situation des sciences dures, de techniques et de médecine (STM). Or, elles sont très disparates à différents points de vue :
- de part la structure de leur marché : si le secteur de l’édition STM est dominé par quelques oligopoles de taille mondiale, dans les SHS, il est essentiellement organisé autour d’entreprises nationales, de petite ou de moyenne taille, à la rentabilité généralement assez faible.
- de part la durée de vie des publications en SHS et STM. Sur Cairn.info, les articles des douze derniers mois représentent moins de 20 % des consultations. Par ailleurs, d’après une étude menée récemment en Grande-Bretagne, dans l’hypothèse où les publications de SHS seraient mises en ligne gratuitement après un délai de douze mois, on observerait une baisse de près de deux tiers des achats ;
- dans le secteur des SHS, la limite entre travaux strictement universitaires, ouvrages de vulgarisation et essais est extrêmement ténue : quelles auraient été les ventes des ouvrages de Pierre Bourdieu si ses travaux avaient été diffusés numériquement gratuitement ? Globalement, les éditeurs craignent donc une accélération de la dévalorisation des contenus culturels, et ce dans un contexte déjà très difficile pour tous les acteurs de l’écrit, et alors même que ceux-ci doivent investir pour se moderniser et migrer vers le numérique.