Sommaire du dossier :
- Information professionnelle : je t'aime, moi non plus
- Entre BU et fournisseurs d'information, "les relations s'améliorent", selon Emmanuelle Sordet
- Information professionnelle : les éditeurs face au défi du numérique
- Information professionnelle : progrès du libre accès à l'étranger
- Agrégateurs de presse et agences d'abonnement : les attentes des clients ont changé
- Pierre-Carl Langlais : "Il est impératif de faire émerger un écosystème de libre accès !"
Entretien avec Pierre-Carl Langlais, chercheur en libre accès et wikipédien.
Les éditeurs se sont mobilisés contre l’article 17 de la loi sur la République numérique. De votre côté, vous y êtes favorable. Pour quelles raisons ?
J’y suis favorable parce que la recherche scientifique, et notamment la recherche publiée, est majoritairement financée par l’argent public. Ce financement public se fait à plusieurs niveaux : les auteurs sont des chercheurs rétribués par l’Etat et non pas par les revues ; idem pour les évaluateurs. Même le fonctionnement interne de ces revues et le travail d’éditorialisation sont souvent financés par l’Etat. A tous les niveaux, on constate un investissement public significatif. Pourtant le public ne peut pas lire ces revues. A titre d’exemple, la revue Brain Research d’Elsevier coûte 10 000 euros par an ! Quant aux bouquets de revues proposés par les éditeurs, ils représentent un coût considérable pour les bibliothèques universitaires. Pensons également aux universités du tiers-monde qui n’ont pas les moyens de s’y abonner. Le système actuel entrave la circulation globale de l’information scientifique. Notons enfin que la consultation publique qui a précédé la loi sur le République numérique a montré la très forte mobilisation des chercheurs pour la circulation des connaissances.
Vous affirmez que l’essentiel du secteur éditorial scientifique français a été récupéré ou sabordé par de grandes multinationales depuis le début des années 70 dans l’indifférence générale. Que s’est-il passé ?
Le domaine des sciences humaines et sociales a été
épargné, mais celui des sciences, techniques et médecine a été largement absorbé et sabordé. Des revues prestigieuses ont été achetées par les grands éditeurs (Elsevier, Springer…) qui soit ont capitalisé sur leur aura, soit les ont fait disparaître pour mieux imposer leurs poulains et ainsi accélérer la concentration de la recherche vers des revues entièrement contrôlées. Cela marque un basculement complet de la façon dont on faisait de la recherche jusque-là : auparavant, un droit de recopie était admis. A partir du moment où les grands éditeurs ont repris ces revues, on a vu apparaître une série de mentions du type « droit réservé »… Au même moment, est apparu le facteur d’impact qui a eu pour effet de complètement geler le système éditorial. Les revues les plus citées ont attiré les chercheurs les plus prestigieux et cela a créé une boucle. Au total, ce facteur d’impact ressemble à un concours de beauté ! Le facteur d’impact n’est d’ailleurs pas une mauvaise mesure : c’est sa généralisation qui a cloisonné le système actuel.
Les bibliothèques universitaires françaises sont-elles en mesure de négocier face aux éditeurs ?
Non, absolument pas. Aujourd’hui, les négociations se font au niveau national. C’est ainsi que s’est déroulée la négociation avec Elsevier que j’ai fait fuiter l’an dernier : 172 millions d’euros. Il est très difficile de se couper des revues détenues par Elsevier car il n’y a pas d’alternative. La marge de manœuvre des bibliothèques universitaires est extrêmement réduite. C’est pour cela qu’il est impératif de faire émerger un écosystème de libre accès.
Justement, où en est le mouvement open access ?
Les choses se font assez lentement. Le principal blocage est au niveau de l’évaluation. En revanche, des politiques qui intègrent le libre accès se sont généralisées. Ainsi certains financements européens sont conditionnés à la publication en libre accès. Mais il s’agit là d’un seul versant du libre accès qui n’est pas encore allé jusqu’à la réappropriation politique des revues par les chercheurs. Je remettrai prochainement un rapport au CNRS sur les questions d’évaluation et d’éditorialisation de la recherche. Je souhaite refonder plus globalement la recherche sur le libre accès et je ne suis le seul. D’autres chercheurs réfléchissent à la notion de « commun ».
Des projets de fouille de texte (text mining) sont en cours. De quoi s’agit-il et quelle est la réaction des éditeurs ?
Face aux volumes colossaux de textes, il s’agit de confier à des algorithmes le soin d’extraire les principales informations du texte pour pouvoir les lire ensuite de manière distanciée. Mais là encore, ces projets butent sur des droits créés par les éditeurs. Pour faire du text mining, il faut recopier l’intégralité de ces textes. Problème : le droit de lire ces textes crée-t-il un droit d’extraire ? Les éditeurs veulent dissocier ces deux droits qui leur permettra, une fois de plus, de monétiser les contenus.