Objets de nombreux fantasmes, les archives politiques constituent un trésor inestimable pour la recherche historique, mais pas uniquement. Elles sont pourtant souvent négligées et un nombre préoccupant de documents disparaît de la circulation. Qu'elles soient recueillies par les Archives nationales, les institutions académiques, les fondations privées ou par les structures versantes elles-mêmes, les archives politiques obéissent à des règles de gestion et des statuts variables. Encore bien peu électroniques, elles limitent en cela une valorisation inégale selon leur position sur l'échiquier politique.
Sommaire du dossier :
- le Cevipof recueille la mémoire électorale française
- le Centre d'archives socialistes milite pour le versement
- au Québec, pas d’anarchie des archives politiques
- la BNF fera sa campagne 2012
Au mois de novembre 2011, la directrice des Archives nationales, Agnès Magnien, annonçait l'achèvement du tri et du classement des archives produites par le cabinet de Lionel Jospin à l'Hôtel Matignon entre 1997 et 2002. Soit près de 600 mètres linéaires qui sont allés rejoindre les 17 kilomètres linéaires produits par les anciens Premiers ministres de la Ve République et provisoirement archivés à Fontainebleau en attendant leur déménagement définitif vers le futur site de Pierrefitte (Seine Saint-Denis).
Les archives produites par le Premier ministre tout comme celles de la Présidence de la République et des différents ministères sont versées aux Archives nationales conformément au code du patrimoine, à l'exception notable du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense et du ministère de l'Economie et des Finances qui possèdent leurs propres service d'archives. Dans la réalité, les choses sont plus compliquées comme l'ont reconnu plusieurs membres de cabinets ministériels réunis à l'occasion d'une journée d'étude organisée par les Archives nationales.
David Kessler, qui était présent auprès de Lionel Jospin à Matignon, se souvient : « Lorsque nous sommes arrivés en 1997, l'archiviste nous a informés du caractère public des archives que nous produisions. Mais vu le rythme effréné de Matignon, la pensée archivistique n'est pas toujours présente à l'esprit des conseillers : une partie des notes personnelles a pu échapper aux archivistes... ».
Aujourd'hui directeur général de l'hebdomadaire Les Inrockuptibles, David Kessler garde en mémoire une consigne : « Nous avions donné pour conseil aux membres du cabinet de ne rien garder personnellement ; mais il est difficile de contrôler ce que chacun fait... ».
face à la judiciarisation de la société
L'un de ses collègues, qui officia également à l'Hôtel Matignon en tant que conseiller économique de Lionel Jospin, se souvient encore de sa surprise lorsqu'il arriva rue de Varenne : « Quand on entre à Matignon, il n'y a pas d'archives ! Sans mes propres documents je n'aurais pas pu travailler ». Quitte à s'attirer les foudres des archivistes, ce conseiller n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat : « Face à la judiciarisation et à la médiatisation de la société, certains conseillers préfèrent conserver leurs documents pour faire face à d'éventuels problèmes. Malgré la qualité du travail effectué par les Archives nationales, ils préfèrent gérer eux-mêmes leurs propres archives... »
Pourtant, le Code du patrimoine est formel comme le rappelle Odile Gaultier-Voituriez, responsable de la documentation et des archives au sein du centre de recherches politiques Cevipof-Sciences-Po : « Les archives produites dans le cadre du service public et de l'activité de l'Etat appartiennent à l'Etat et relèvent du domaine public. Elles sont inaliénables – ne peuvent être aliénées, vendues ou données – et imprescriptibles -peuvent être revendiquées sans limitation dans le temps ». Mais, reconnaît-elle, «ce dispositif reste difficile à mettre en œuvre car beaucoup d'hommes politiques emportent ces archives ».
disparition
Selon certains archivistes, il est malheureusement inévitable que certaines archives disparaissent de la circulation. Les alternances politiques ou les simples remaniements ministériels se déroulent parfois dans la précipitation et loin des protocoles de versement énoncés dans le Code du patrimoine.
Il est vrai que, pendant longtemps, les ministres et leur entourage faisaient à peu près ce qu'ils voulaient de leurs archives. Dans un entretien qu'il avait accordé à Archimag en 2007, Henri Zuber, alors président de l'Association des archivistes français, estimait que « 10 à 20 % de la production d'un homme politique disparaît de la circulation ». Une anecdote est d'ailleurs restée célèbre : en 1974, Alain Poher exerça les fonctions de Président de la République par intérim à la suite du décès brutal de Georges Pompidou. Lorsqu'il arriva à l'Elysée, il dut se rendre à l'évidence : tous les dossiers avaient disparu, jusqu'aux annuaires téléphoniques !
Les mauvais habitudes semblent même remonter plus loin encore : le cardinal de Richelieu avait, selon les usages de l'époque, légué ses archives à sa nièce la duchesse d'Aiguillon...
obligations archivistiques
A quelques semaines d'une élection présidentielle indécise, ces pratiques sont-elles toujours à l'ordre du jour ? En théorie, non puisque la loi du 15 juillet 2008 relative aux archives précise que « lorsqu'il est mis fin à l'existence d'un ministère, service, établissement ou organisme détenteur d'archives publiques, celles-ci [les archives] sont, à défaut d'affectation déterminée par l'acte de suppression, versées à un service public d'archives ». Par ailleurs, Philippe Bélaval, directeur général des patrimoines, a appelé les Archives nationales à sensibiliser les ministres et leur conseillers à leurs obligations archivistiques, tant pour se mettre en conformité avec le Code du patrimoine que pour faciliter le travail des historiens. Reste à savoir si le rappel à la loi sera entendu.
Encore faut-il distinguer les archives politiques publiques des archives politiques privées. Les premières, on l'a vu, sont régies par le Code du patrimoine. Les secondes, qui regroupent les archives produites par les partis politiques et les associations, échappent à ces obligations légales.
Mais comment qualifier, par exemple, un courrier reçu par un ministre dans le cadre de ses activités (archive publique) qui traite d'une affaire privée ? Odile Gaultier-Voituriez reconnaît la difficulté, mais rappelle la loi : « Nous verrons dans les années à venir comment la loi du 15 juillet 2008 est appliquée. Il demeure que les fonds doivent être conservés, traités et accessibles rapidement ».
archives de gauche, archives de droite
Aux yeux de nombreux archivistes, et au-delà de leur propre sensibilité politique, il semble que les partis de gauche traitent mieux leurs archives que les partis de droite. Adossée au parti socialiste, la Fondation Jean Jaurès gère un important fonds archivistique. Son Centre d'archives socialistes, créé en 1999, conserve les archives produites par la direction nationale du PS ainsi que 17 fonds privés comme celui de Pierre Mauroy par exemple.
A droite, il est difficile de trouver pareille structure d'accueil d'archives, l'UMP n'ayant pas donné suite à nos demandes d'interview. Quant à la Fondation Charles de Gaulle, elle gère les archives produites par le Général lorsque celui-ci présidait aux destinées du RPF (Rassemblement du Peuple Français) entre 1947 et 1955. Plus d'un millier de cartons ainsi que des discours et des correspondances sont consultables dans les locaux parisiens de la Fondation. La bibliothèque de la Fondation se présente comme « le premier centre de documentation sur le Général de Gaulle » ; près de 5 000 volumes, plus de 30 000 références ainsi qu'une collection d'enregistrements audiovisuels y sont conservés.
Plus étonnant, à l'extrême droite, les archives du Colonel de La Rocque, qui dirigea les Croix-de-Feu, furent conservées avec un soin particulier par son fils, désireux d'entretenir la mémoire de son père. Elles sont aujourd'hui conservées par le centre d'histoire de Sciences Po.
« Je ne suis pas certain d'avoir été exemplaire... »
Au mois d'octobre 2006, l'Association des archivistes français avait organisé au Sénat un passionnant colloque consacré aux archives des hommes politiques contemporains (1). La manifestation qui avait réuni archivistes et personnel politique avait permis d'entendre quelques témoignages instructifs. Le regretté Philippe Séguin reconnaissait : « Je ne suis pas certain d'avoir été exemplaire avec mes propres archives ». En écho, Pierre Joxe expliquait : « Quand on est ministre, on s'occupe des archives au moment où on quitte ses fonctions ». Aux archivistes d’en prendre leur parti.
(1) Les archives des hommes politiques contemporains (Gallimard et Association des Archivistes Français, 2007)
Depuis le 1er août 2006, la Bibliothèque nationale de France collecte, conserve et communique les sites web du domaine français au titre du dépôt légal. Cet archivage concerne les .fr, mais aussi les extensions .org ou .com dont les auteurs sont domiciliés en France ou les contenus produits en langue française. Du côté des contenus à caractère politique, la BNF n'a pas attendu 2006 pour procéder à la collecte des contenus disponibles sur la toile. Les élections présidentielles et législatives de 2002 et 2007, ainsi que les scrutins régionaux et européens de 2004 et 2005 ont fait l'objet d'une collecte partielle. Mais c'est surtout à partir de 2007 que le web est apparu comme un incontournable lieu du débat politique. A côté des médias traditionnels tels que la presse écrite, la radio et la télévision, la campagne électorale s'est également jouée sur les blogs, les forums de discussion et les réseaux sociaux alors en voie d'adoption par les internautes. Nul doute que les élections présidentielles et législatives de 2012 se joueront encore plus sur le web que les scrutins précédents. Elles feront l'objet d'une vaste collecte dont les contours ont été précisés dans un décret du 19 décembre 2011. Plusieurs milliers de sites de personnalités politiques, partis ou militants seront sélectionnés par la BNF ainsi que par ses partenaires en charge du dépôt légal en régions. Cette « campagne ciblée d'archivage des sites électoraux » vise donc la pertinence plutôt que l'exhaustivité telle qu'elle est envisagée par la Bibliothèque du Congrès (Etats-Unis) qui a annoncé son intention de collecter la totalité des milliards de messages postés sur Twitter ! Il est à noter que ces archives numériques ne sont pas disponibles en ligne. Les personnes désirant les consulter doivent se rendre dans les salles de lecture de la BNF sur des postes informatiques dédiés à ces archives. Les demandes doivent au préalable être adressées à l'adresse suivante : depot.legal.web@bnf.fr |