Le gouvernement canadien s’est mis l’ensemble de sa communauté de chercheurs à dos. Accusé de détruire son patrimoine scientifique par le démantèlement sauvage de bibliothèques de référence en matière d’environnement marin, de fermer des laboratoires et de censurer ses scientifiques, il semblerait qu’en coulisses, ce soient 20 ans d’une politique environnementale mondialement reconnue, qu’il aurait dans sa ligne de mire.
Sept établissements sur les onze bibliothèques canadiennes dédiées aux ouvrages scientifiques spécialisés dans la vie marine ont été fermées depuis le printemps dernier dans un quasi-anonymat. Pourtant, cela fait des mois que les scientifiques du pays s’en émeuvent.
Depuis cinq ans maintenant, le gouvernement conservateur de Stephen Harper, avec en première ligne la ministre des Pêches et Océans Gail Shea, s’est mis à dos l’ensemble de la communauté des chercheurs l’accusant de démanteler sauvagement son patrimoine scientifique.
Charge superflue
La raison ? Porté au pouvoir en 2006 avec la promesse de faire réaliser des économies drastiques à l’Etat canadien, le gouvernement de Stephen Harper estime que maintenir l’activité des onze bibliothèques scientifiques de Pêches et océans Canada (Agence fédérale chargée des affaires maritimes) constituerait une charge superflue.
Comme le rappelle l’AFP, cette accumulation d’une riche et rare collection d’ouvrages scientifiques spécialisés dans la vie marine tient au fait qu’il s’agit de l’unique pays de la planète à être bordé par trois océans : l’Artique, l’Atlantique et le Pacifique.
Mais pour Gail Shea, qui réagissait cette semaine à la polémique, enfin relayée dans les médias internationaux, seulement « 5 à 12 personnes extérieures au ministère visitent nos 11 bibliothèques chaque année ». Selon elle, plus de 86 % des visiteurs seraient des fonctionnaires. Le Monde a chiffré l’économie attendue par la fermeture des sept bibliothèques, entamée en avril dernier, à près de 430 000 dollars canadiens (soient 290 000 euros) pour 2014-2015.
Scènes de pillage
L’émoi de la communauté scientifique tient en plusieurs points : d’abord, le démantèlement des différentes bibliothèques aurait été réalisés dans la plus totale anarchie : destruction de matériel, scènes de pillage, conteneurs de décharge remplis de milliers de documents prélevés sur les fonds des établissements sans en informer le personnel… Si le gouvernement assure que seuls les documents présent en double exemplaire n’ont pas été conservés et que le reste sera numérisé, la communauté des chercheurs dément ces affirmations et crie au "livricide".
La photo ci-contre n’est ni créditée ni datée ; pourtant, des employés de l’Institut Maurice Lamontagne affirment l’avoir prise à l’été 2013 dans la cour de l’établissement.
De plus, la fermeture possible de la bibliothèque de l’Institut Maurice-Lamontagne (annoncée pour octobre dernier, mais toujours pas réalisée), composée de 61 000 livres traitant du domaine maritime dans les deux langues officielle est le seul établissement qui dessert la communauté scientifique francophone du pays.
Censure des scientifiques
Surtout, pour certains scientifiques, les données du problème seraient bien plus idéologiques. Le chercheur à l’Institut océanographique international d’Halifax Peter Wells, estime que l’excuse de l’économie budgétaire serait un faux prétexte. Selon lui, « le gouvernement n’aime pas les données scientifiques portant sur les questions environnementales ». Il affirme même qu’une sorte de censure empêcherait les scientifiques du gouvernement de s’exprimer publiquement.
Des programmes entiers de recherche auraient d’ailleurs été fermés parallèlement aux bibliothèques scientifiques obligeant de nombreux chercheurs à s’expatrier pour poursuivre leurs travaux.
Pour beaucoup d’universitaires, ces mesures seraient liées au retrait du gouvernement de Stephen Harper du protocole de Kyoto en 2012, que le Canada avait pourtant signé. Plusieurs élus conservateurs auraient même, selon l’AFP, remis en question à plusieurs reprises la réalité du réchauffement climatique de la planète.
Parlant d’une dérive de « pétrodictature », le biologiste Daniel Pauly a confié au Monde que des laboratoires d’écotoxologie seraient fermés « pour éviter que des découvertes gênantes ne soient faites sur l’exploitation des hydrocarbures ».
Rappelons que la politique environnementale canadienne avait pourtant de quoi s’enorgueillir de normes et de réalisations scientifiques mondialement reconnues, entamées il y a 20 ans par le ministre Jean Charest, en 1992, initiateur du Plan Vert canadien.